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samedi 10 novembre 2012
SI LOIN SI PROCHE
Il y a 14 mois, Leyla était hospitalisée pour qu'on lui installe un PAC (boitier sous-cutané permettant les piqûres sans abîmer les veines du bras) et le jour même de l'opération, elle recevait sa première chimio. J'avais la nausée, la peur au ventre, j'avais craqué en appelant mon frère au téléphone pour laisser la bulle éclater. Leyla n'en menait pas large non plus, on ignorait ce qui nous attendait ni dans quelle proportion. Puis, à la peur avait succédé l'angoisse qui sont deux choses bien différentes. La peur que les nouvelles ne soient pas bonnes dans le cas où sa moëlle osseuse serait touchée. L'angoisse après avoir été rassurées, devant l'inconnu.
Peu à peu, nous avions pris nos marques dans les divers endroits de l'hôpital: cantine où je faisais connaissance des autres parents, cafétéria où le monde extérieur à la maladie et à l'hôpital venait nous côtoyer pour quelques instants, rue Lumière où je reprenais pied dans la réalité de la vie. Et les ateliers proposés aux petits malades où nous rencontrions des gens généreux et de bonne volonté.
C'était l'an dernier. C'est loin et pourtant encore si proche. Je me dis que tout ça maintenant est derrière nous mais la mémoire est sélective puisque j'ai oublié le nom des médicaments.
En revenant dans le service aujourd'hui, l'odeur des couloirs nous prend les tripes et nous ramène en arrière sans ménagements. Nous croisons les mêmes têtes: aides-soignantes, puéricultrices, infirmières, docteurs sont fidèles à leur poste. Mais bien des choses ont changées. L'atelier couture grâce auquel Leyla a réalisé le début de son rêve n'était plus là, la salle vide semblait triste. Le majestueux lion en chocolat dans l'entrée d'une valeur de huit milles euros a disparu (quelqu'un l'aurait-il mangé?) Non, une épidémie d'aspergillose en est la cause. Le maillot jaune offert par Lance Armstrong a été décroché (quelqu'un l'aurait-il volé?) Non, depuis peu ce maillot jaune symbolise la triche, le dopage et la tromperie et il eût été malvenu pour un hôpital de cautionner cela. Pourtant il y a une chose que je ne peux reprocher à cet américain, c'est sa force de persuasion pour les levées de fond pour la recherche contre le cancer, c'est son combat contre le cancer, c'est son leadership pour rassembler les malades afin qu'ils se sentent moins seuls. Certes il a eu le tort d'y associer son palmarès - à l'époque c'était plutôt une super opération marketing - car désormais les donateurs risquent de se faire plus timides. Je suis capable de dissocier les deux personnages qu'il incarne : le cycliste tricheur et le survivant du cancer. Et s'il n'a pas détourné d'argent comme à son époque Jacques Crozemarie, je suis prête à lui verser une donation.
Cette parenthèse étant tournée, Leyla entre au bloc aujourd'hui pour qu'on lui enlève ce système sous-cutané. En général, quand on fait ça, c'est que la maladie est derrière soi, qu'il y a longtemps que les traitements ont cessés bien qu'il faille revenir tous les 3 mois pour des visites de surveillance. C'est une bonne nouvelle qu'un enfant ou un malade se fasse enlever le PAC. Et quand, à la cantine, je retrouve Denise, notre chère Denise bien étonnée de nous voir, je la rassure.
Denise est une personne merveilleuse qu'on va saluer même si l'on ne doit passer que dix minutes dans l'hôpital, elle est le soleil des enfants, des parents. Avec elle, on peut discuter de tout, elle repère à cent mètres les nouveaux arrivants, les rassure, les accompagne, elle connait tous les petits qui viennent ici. Elle tient comme à la prunelle de ses yeux aux dessins, photos et autres cadeaux qui décorent sa salle à manger car venant des petits malades reconnaissants. Alors quand les services de désinfection sont passés là cet été en pleine épidémie et qu'ils ont tout décroché pour tout mettre à la poubelle, Denise en a pleuré et pas dormi de la nuit! C'était son coeur qu'on arrachait! Il y a même encore des médecins pour déplorer que son coin ne ressemble pas à un hôpital... S'ils savaient qu'on s'y sent bien justement parce que dans cet espace on ne se sent pas être à l'hôpital. Quelle déprime si tous les coins détente de l'hosto devaient être standardisés, tristounets, froids, blancs.
Comme nous avons passé une nuit là-bas, j'ai pu venir au petit-déjeûner. L'an dernier, c'était le moment de la journée que je préférais car c'est le "debriefing". Le midi, il y a du monde et c'est moins intimiste et le soir, l'ambiance sans Denise est carrément glauque et chacun reste dans sa chambre. Le matin, on voit les parents arriver un à un avec des mines plus ou moins épouvantables selon que la nuit a été dure, blanche ou difficile. Mais on essaie de faire bonne figure, surtout ne pas se laisser aller! On se raconte ce qui s'est passé, on échange des tuyaux, on se soutient mutuellement. Et la journée commence plus légèrement que ce qu'on craignait grâce aux mots simples des autres, à cet esprit combatif que nous avons tous face à la maladie et à ses complications. Je relativisais aussi, bien que Leyla ait aussi beaucoup souffert à certains moments. Car je savais qu'elle allait guérir! Quand on sait qu'on va guérir, les moments difficiles sont moins difficiles à vivre. Mais pour certains parents, combien j'ai pu admirer leur courage, leur simplicité, leur humilité face des maladies incurables, rares ou dégradées par des complications à répétitions. Je relativisais et je pensais à eux par la suite en les soutenant mentalement, muettement.
Ce matin, j'ai rencontré un père formidable. Son fils de 17 ans a une forme de cancer très rare qui se manifeste de la façon suivante: au lieu d'attaquer les corps étrangers et de défendre l'organisme, les globules blancs attaquent les os et cela donne des grosseurs que l'on peut enlever par chirurgie. Mais pour le reste, pour contrer ce défaut de programmation des globules blancs, les médecins sont peu sûrs d'eux. Ils font le tour du monde des autres centres d'oncologie à la recherche d'informations. Et là, son fils est au troisième étage depuis 6 mois!! Il est en aplasie depuis 7 semaines. Et quand le professeur qui les suit rentrera des Etats Unis, ils testeront quelque chose sur lui pour tenter de faire remonter ses globules rouges. Ce sera du quitte ou double. Et ce monsieur précise que son fils est né autiste. Les difficultés dans la vie, il connait et pourtant il ajoute: "ce cancer, c'est quand même quelque chose d'incroyable, une grande expérience!". J'acquiesse car Leyla a sorti des choses positives de sa maladie. Et ce papa, au lieu de se lamenter sur le sort qui pourrait s'acharner sur lui, est capable de philosopher. C'est une grande leçon pour moi. Son fils peut mourir à la suite de cette tentative, je sens sa sensibilité, son émotion dans sa voix quand il l'évoque sans le dire et je n'ai que mon regard pour le soutenir, des mots dérisoires pour lui montrer que je penserai à lui et à son fils par la suite, des petits riens.
A l'époque, des petits riens m'ont aidée et il ne faut pas s'en priver à l'égard des autres, redistribuer ce qui nous a été donné avec générosité.
Cette histoire m'a bouleversée. Quand je dois dire adieu à Denise, je lui tombe dans les bras et je pleure. Je suis heureuse que ce soit fini pour Leyla et je suis triste que ça doive continuer pour d'autres sans doute dans des circonstances dramatiques. C'est la vie et c'est tellement injuste.
Je quitte cette salle de cantine où, même quand on est en dehors de la maladie grâce à la rémission, on y reste toujours un peu au contact des autres. Pour ma part, je choisis de garder des pensées positives pour ceux que je connais et qui n'ont pas encore guéris ainsi que pour ceux que je ne connais pas.
Tout s'est bien passé pour Leyla. Elle avait un peu mal au coeur à cause d'un anti douleur assez carabiné et j'ai retrouvé mes réflexes rapidement: être présente sans être oppressante même si cela arrive fatalement, devancer les besoins, être attentive à l'évolution et à l'organisation de la journée, trouver les mots pour réconforter.
C'est derrière nous maintenant. J'ai eu le contre-coup au printemps, fatigue, lassitude, envie de rien, à deux doigts de la déprime. Puis j'ai fait le tri dans ma vie, gardé ce qui me faisait du bien, débarrassé de ce qui me pesait et ça a passé. Leyla évolue aussi et dans le bon sens!
Souhaitons-lui bientôt un bon 17ème anniversaire et qu'elle puisse faire quelques courses de biathlon cet hiver!!
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